Des
employés au bout du boulot
Face à la détresse des salariés, les numéros
dassistance psychologique font le plein.
Par LUC PEILLON
QUOTIDIEN
: jeudi 4 octobre 2007
Lumière basse et tamisée, bureau spacieux : la plate-forme
dappels de Psya, entreprise dassistance psychologique par
téléphone, na rien dun call center comme on
se limagine, genre cages à lapin. Dans cette pièce
dun grand appartement parisien, seules trois psychologues se partagent
les appels de salariés en détresse.
Thales, Accor, la Caisse dépargne ou lANPE ont signé
un contrat avec Psya. Leurs salariés disposent, 24 heures sur 24,
dun numéro vert pour confier leurs soucis au travail. Dernier
client en date : Peugeot. Après les cinq suicides sur le site de
Mulhouse, la direction a souscrit à un numéro gratuit.
Psya se partage avec IAPR, lautre leader du secteur, le marché
florissant de la sous-traitance des troubles psychosociaux au travail.
Créée en 1997 pour soccuper des affections post-traumatiques
des adhérents de mutuelles, la structure réalise désormais
la majorité de son chiffre daffaire auprès des entreprises.
«Il y a une évolution culturelle, explique
Patrick Charrier, responsable de la plateforme. Le harcèlement,
les suicides, le stress, sont de plus en plus médiatisés
et les entreprises sont démunies. »
Pour quelques euros par salarié, létablissement client
bénéficie ainsi dun forfait annuel auprès du
centre dappel et dun numéro propre à diffuser
auprès de ses employés. Chaque appel est anonyme, mais le
numéro permet de repérer lentreprise à laquelle
le salarié appartient. Un rapport est ensuite fait à lemployeur
sur le nombre dappels et le type de plaintes. «Tout
ce que le psy peut glaner comme renseignements au cours de lentretien
est intégré à un questionnaire. Mais nous ne sommes
pas là pour régler les problèmes. Nous ne faisons
pas de psychothérapie par téléphone»,
prévient Richard Lavergne, responsable des relations avec les entreprises
chez Psya.
Burn-out. Si le recours à un psy est aujourdhui moins tabou,
aller le voir physiquement reste encore problématique, notamment
pour les ouvriers. «Au téléphone,
cest plus anonyme, les gens se lâchent plus facilement»,
témoigne Laure Arnould, 34 ans, psychoclinicienne sur la plateforme.
«Certains nous interpellent sur des problèmes strictement
privés, mais que nous traitons aussi.» Le gros des épanchements
reste cependant dordre professionnel et, selon Laure Arnould,
si les plaintes abordent le harcèlement, le stress ou les collègues,
tout ou presque se résume, au final, à la question de
la reconnaissance au travail.
Responsable dIAPR, la concurrente, Jacques Rondeleux voit lui aussi
«le marché se développer de plus en plus».
Thèmes phares : le stress aigu, le burn-out
(lépuisement à la tache) et, ces derniers temps, le
suicide. Mais il reconnaît que «ces appels ne permettent
pas de régler le problème».
Même méfiance côté syndical.
«On a rien contre, mais ça ne suffit pas. On préférerait
la création dune écoute psychologique de proximité»,
explique Robert Calvet, délégué syndical CFDT de
Peugeot, à Mulhouse.
Désaveu. Et cette externalisation de la souffrance au travail déstabilise
certains médecins du travail. «Les gens peuvent venir nous
voir, nous sommes payés pour ça, confie François
Becker, lun dentre eux. Si je travaillais dans une entreprise
ayant mis en place un numéro vert, je le prendrais comme un désaveu.»
«Les signes
existent si on sait les repérer»
Par L.Pn
QUOTIDIEN : jeudi 4 octobre 2007
Jack Bernon est responsable du département santé et travail
à lAnact (Agence nationale pour lamélioration
des conditions de travail) :
«Créer des espaces de dialogue est toujours une bonne chose.
Notamment après un drame, comme un suicide, où lon
attend un geste du corps social. Un numéro vert ou une cellule
découte psychologique peut donc constituer un début
de réponse. Mais il faut également repérer, en
amont, les situations de souffrance.
Jusquà présent, les entreprises se sont limitées
à des indicateurs standards, du type accidents du travail ou maladies
professionnelles.
Or, les signes existent si on sait les repérer et les analyser.
Les gens qui se plaignent régulièrement,
par exemple, ne doivent pas être négligés. Labsentéisme,
comme les arrêts de courte durée, sont également de
bons indicateurs. Ils sont significatifs dun besoin de se
ressourcer, de souffler.
Il y a aussi des salariés qui cherchent à éviter
une réunion ou à ne plus aller en formation.
Il faut former les différents acteurs de la prévention dans
lentreprise à la détection de ces éléments
de fond. Ce qui ne dispense pas la direction dun traitement collectif
de ces situations
Lentreprise est un lieu social, pas uniquement
un lieu de production.»
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